Comment prévenir un traumatisme permanent après un accident du travail grave ?

Un accident du travail grave peut avoir des conséquences permanentes,
tant physiques que psychologiques. Comment réagir en tant que collègue impliqué, conseiller en prévention ou employeur ? Nous avons posé la question à Daisy Buttiens, conseillère en prévention des aspects psychosociaux (CPAP) chez Mensura, et à son collègue Bjorn Christis, conseiller en prévention de la sécurité au travail.

Comment définir un grave accident du travail et un traumatisme ?

Bjorn : « Un grave accident du travail est un accident mortel du travail ou un accident du travail qui remplit certaines conditions. Il implique la combinaison d’une blessure et d’un événement et/ou d’un objet inhabituel. Par exemple une fracture résultant de l’effondrement d’une structure aérienne. »

Daisy : « Un événement est potentiellement traumatique s’il répond à la règle des '4 i' :
il est imprévisible et incontrôlable, impressionnant et met à mal notre illusion d’invulnérabilité. Nous savons tous qu’un accident du travail peut se produire, mais cette illusion d’invulnérabilité nous laisse penser qu’il ne nous arrivera pas. Cette illusion nous empêche de partir au travail tous les matins avec anxiété.

Par ailleurs, un événement traumatisant n’entraîne pas nécessairement de traumatisme permanent. Ce n’est le cas que si les symptômes initiaux – normaux – n’ont toujours pas disparu après plusieurs mois. Reconnaître les événements potentiellement traumatiques et y réagir correctement, permet de prévenir ces conséquences durables. »
 

A quoi ressemble une réaction « normale » à un traumatisme ?

Daisy : « Au début, chaque réaction est normale : crier, se taire, rire bruyamment,… Notre corps entre dans un état de stress accru et chacun y réagit différemment. Le plus important, c’est de parvenir à évacuer la tension accumulée. Acceptez cette décharge et ces émotions, elles ont leur place. Parlez-en également avec quelqu’un que vous connaissez et en qui vous avez confiance. La seule chose qui ne marche pas, c’est rester seul. »

Bjorn : « Jusqu’à présent, j’ai accompagné une seule entreprise pour Mensura à la suite d’un accident mortel du travail. Il s’agissait d’un jeune d’à peine 20 ans qui était resté coincé entre deux machines. Je ne l’oublierai jamais: ses parents et ses amis en larmes, la colère et l’abattement, la culpabilité de ceux qui restent, le corps chez le médecin légiste... Dans un tel moment, en tant que conseiller en prévention, il faut faire abstraction de ses émotions et se concentrer sur les faits : recueillir des témoignages et rédiger un rapport en tant qu’expert.
Que s’est-il passé et comment l’éviter à l’avenir ? »

Que se passe-t-il lorsque les premières émotions se font sentir ?

Daisy : « Après la décharge pure et simple vient la guérison. Pour de nombreuses personnes, ces émotions extrêmes génèrent de la panique, mais nous leur faisons comprendre qu’il s’agit d’une réaction saine et réparatrice. Les flash-back et les cauchemars sont intenses, mais ils sont aussi le signe que la guérison a commencé. »

« Nous possédons d’ailleurs une résilience naturelle, qui se manifeste surtout lorsque nous sommes entourés. Exprimez votre ressenti et écoutez votre corps. Nous examinerons l’évolution de votre convalescence après un mois. Vous pleurez encore souvent dans votre lit, mais vous parvenez à sortir à nouveau ? C’est que votre corps est en cours de guérison ; laissez la douleur s’exprimer. Il est important de ne pas rester bloqué dans l’évitement. »

« Vous avez l’impression de stagner ? Il est alors question de traumatisme. La tension accumulée n’a pas trouvé d’échappatoire et s’est ‘fixée’ dans votre corps. Dans ce cas, nous vous orientons vers un psychologue spécialisé dans les traumatismes afin de procéder à une confrontation et d’évacuer les tensions dans un environnement sûr. »

Bjorn : « Lorsque j’ai parlé aux témoins de l’accident mortel du travail, j’ai également remarqué que beaucoup ne se souvenaient que de bribes. En principe, ce type de rapport doit être rédigé dans les dix jours, mais d’un commun accord avec le CPAP de l’entreprise et la division Contrôle du bien-être au travail du SPF (CBE), nous avons accordé un délai supplémentaire aux témoins. Une fois apaisés, nous avons pu reconstituer ensemble les souvenirs. Cette étape était elle aussi une forme de traitement. »
 

En tant que conseiller en prévention, comment ne pas ramener ces émotions chez soi ?

Daisy : « Les émotions intenses font partie de notre travail, mais elles ne signifient pas qu’elles ne nous affectent plus. Chez Mensura, nous sommes formés à cet effet, de façon à disposer des connaissances et des outils nécessaires pour garder le contrôle. Un événement vous touche particulièrement ? Surtout, ne vous considérez pas fort parce que vous êtes psychologue. Appelez une connaissance pour vous décharger en toute sécurité. »

Bjorn : « Chaque fois que je vois la machine en question, je revois ce garçon allongé là. Le CPAP de service m’a contacté pour discuter après l’accident et, quoi qu’il arrive, chez Mensura, nous discutons toujours en groupe de ces accidents du travail. Ça m’a vraiment fait du bien. »

En tant qu’employeur, comment faire face à un grave accident du travail traumatisant ?

Bjorn : Dans l’entreprise où s’est produit l’accident mortel du travail, les activités de production ont été interrompues. En concertation avec les CPAP et le SPF CBE, et après la mise en place des mesures préventives nécessaires, les différentes lignes ont été remises en service. Aujourd’hui, on constate une réelle différence en termes de culture de la sécurité. Tout le monde veille désormais au maximum à la sécurité pour ne plus jamais avoir à traverser une telle situation. »

Daisy : « Les employeurs se trouvent face à un dilemme. D’une part, l’entreprise doit continuer à fonctionner, car les longues périodes d’arrêt ne sont pas toujours financièrement viables. D’autre part, les membres du personnel sont parfois incapables de reprendre tout de suite.
Ils voient cette machine et revivent l’accident. »

« A cet égard, le pouvoir de la solidarité est encore largement sous-estimé. Impliquez les collaborateurs : « Nous savons que c’est difficile — comment pouvons-nous vous aider ? » Donnez-leur le contrôle et sondez régulièrement la situation après la mise en place. Lorsqu’on se sent soutenu, on est capable de bien plus que ce que l’on croit. »

En savoir plus sur la manière d’aider les collaborateurs après une expérience traumatique ?

Dans le cadre de la formation « La gestion des événements traumatisants pour la ligne hiérarchique », vous apprendrez comment créer un environnement de travail sûr pour les collaborateurs souffrant de stress post-traumatique.